mercredi 19 mars 2014

HISTORIETTE DES MOOCS

Une histoire des MOOCs

Un nouvel article sur la thématique du moment de Netrules, les « Massive Open Online Courses » ou MOOCs. Après avoir un peu creusé le sujet et avoir lu quelques articles très intéressants par des Dominique Boullier ou des Olivier Ertzscheid comme on les aime (saignants et agréables à la dégustation), on se lance sur une petite histoire de l’enseignement en ligne. Ça ne peut pas faire de mal. 

Un discours un peu « réchauffé »

« Révolution MOOC » titrent ou sous-entendent de nombreux articles de presse. Mouai, d’accord. Revenons un peu en arrière quand même… L’histoire de l’enseignement à distance est intimement liée à l’évolution technologique. Il y a plus d’une centaine d’années, il devait déjà connaitre un nouvel essor grâce à un nouveau réseau de communication : le système postal moderne. Toute personne avec une boite aux lettres pouvait désormais s’inscrire à un cours. Les premières traces d’enseignement à distance remonteraient à 1728, date de la parution d’une publicité dans la Boston Gazette où le professeur Caleb Phillips proposait d’envoyer des cours par courrier à quiconque souhaitait apprendre de nouvelles méthodes de sténographie[1]. Ce n’est ensuite qu’1852 que le premier cours à distance proposé par une institution apparaît aux Etats-Unis. Après avoir répondu correctement et avoir envoyé tous les examens par la poste, Feed your brainles participants au cours du Phonographic Institute in Cincinnati[2] recevaient un certificat de compétences en « stenographic shorthand ». La première université à offrir des cours à distance avec crédits pour certains de ses diplômes serait cependant l’université de Londres en 1858[3]. Durant toute la fin du XIXe siècle, le concept « d’enseignement à distance » va continuer de se développer dans plusieurs universités américaines dont celles de Chicago et de Columbia[4]. Dans les années 1920, les cours postaux ont trouvé leur public et leur nombre ne cesse d’augmenter[5]. A cette époque, les dirigeants d’université espéraient non seulement augmenter l’accès à l’enseignement supérieur en l’amenant dans les endroits les plus arides, mais aussi repenser la relation à l’étudiant en lui offrant des exercices et des conseils beaucoup plus individualisés. Dès les années 1930, l’engouement des facultés pour ces cours à distance diminue suite à de nombreuses critiques et l’arrivée des médias audiovisuels n’aura pas l’impact escompté sur l’accès ou l’intérêt pour l’enseignement supérieur. L’Université de New-York s’essaie à la radio en 1922[6]. Il est intéressant de relire certains des articles de la presse de l’époque concernant ce média. En novembre 1924, le magazine Science and Invention écrit :
« With the everyday added perfections in the transmission and reception of radio, such a remark as the above will soon be a thing commonplace. Little Mary Jane will enjoy her radio lessons as much as she now enjoys her bedtime stories. Everything will be an « open book » to her. A complete set in the shape of a leatherette covered book will take the place of bulky primers and readers. Home work will now be a great joy to the kiddies and lesson will be learned with much greater facility.[7] »
Grâce aux cours radiophoniques, la petite Mary Jane allait pouvoir apprendre ses leçons beaucoup plus facilement et avec le sourire. Elle les apprécierait autant que les histoires que lui lisent ses parents avant de s’endormir. Aujourd’hui, les envolés lyriques de l’époque font doucement sourire. Si l’engouement était important au début, les cours radiophoniques auront pourtant tous disparus dans les années 1940. En 1934, l’université de l’Iowa diffuse certains de ces cours sur la télévision[8]. En 1963, la Federal Communications Commission (FCC) crée« l’Instructional Television Fixed Service » (ITFS), une bande de 20 chaines télévisées, pour donner l’opportunité aux universités de proposer des cours à distance. A chaque fois, le succès n’est pas au rendez-vous. L’Open University naît quant à elle au Royaume-Uni en 1969[9]. Elle est la première université à définir les canons du Open supported learning – qui deviendra en France la « Formation à distance » (FOaD)[10] – et à connaitre un certain succès : 25000 étudiants s’y inscrivent dès la première année. Parallèlement à l’émergence de l’enseignement à distance, il convient aussi de revenir sur une deuxième racine des MOOCs : « l’enseignement pour tous ». C’est le Danois Nikolai Frederik Severin Grundtvig qui théorise le premier le concept d’universités populaires[11]. Celles-ci visent à transmettre des savoirs théoriques ou pratiques à toute personne qui le souhaite, sans conditions d’âge, de moyens financiers ou d’origines sociales. Ce mouvement connaîtra en Europe un certain succès tout au long du XXe siècle[12].

Et si on vous resservait un petit peu de bande passante ?

Les premières formes de cours sur l’Internet sont très basiques. Les cours à distance envoyés avant par mail sont transmis par email et des listes permettant de télécharger des documents à lire ou à rendre sont aussi utilisées. En janvier 1994, le séminaire de James J. O’Donnell de l’université de Pennsylvanie en est un premier exemple[13]. Ce professeur décide de créer, parallèlement à son cours résidentiel, une liste d’email et d’inviter qui veut à s’y inscrire : 550 personnes répondent présents. A chaque cours, l’un des étudiants est chargé de faire un résumé de ce qui a été dit et de le poster aux emails de la liste. De la même manière, des lectures, des feuilles d’exercice et des syllabus étaient aussi envoyés pour agrémenter le cours. Avec l’amélioration de la bande passante, la vidéo fait son apparition. Dans un premier temps, le cours en présentiel est filmé dans son intégralité - généralement par une caméra en fond de salle de classe – et est mise à disposition sur l’Internet sans être retravaillée. Ici, la théorie de la remédiation de Jay David Bolter et Richard Grusin[14], trouve une nouvelle application. Ces deux chercheurs américains nous disent que toute nouvelle forme médiatique va chercher à capter le média qui la précède pour en faire son contenu : l’Internet capte la TV sans pour autant définir ses propres canons. Le contenu reste le même d’un média à l’autre. Au début des années 2000, le mouvement des Open Educational Ressources (OER) naît aux Etats-Unis. En France, il est traduit par Ressources Educatives Libres (REL)[15]. Si certains l’ont peut-être déjà fait avant de façon moins visible, c’est souvent le Massachussetts Institute of Technology (MIT) qui est cité comme pionnier dans cette forme de mise à disposition de cours sur l’Internet. Le 4 avril 2001, le MIT annonce qu’il va bientôt mettre à disposition gratuitement une grande majorité de ses cours sur l’Internet[16]. En septembre 2002, la version Beta du MIT OpenCourseWare[17] est ouverte au public. Aujourd’hui, plus de 2000 cours sont accessibles sur cette plateforme. La France n’est pourtant pas en reste dans ce mouvement des RELs. En 1999, la direction de la technologie du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le Service du film de recherche scientifique (SFRS) prennent conscience de l’émergence de la vidéo sur l’Internet et de son potentiel pour l’éducation. Ils commencent par proposer quelques cours en ligne en 2000 puis ouvrent le site Canal-U.tv[18]en mars 2001. Ce site se présente comme la vidéothèque numérique en ligne de l’enseignement supérieur : il propose gratuitement plus de 6500 vidéos de cours, séminaires, conférences ou entretiens. Il est aujourd’hui dirigé par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le Centre de ressources et d’information sur les multimédias pour l’enseignement supérieur (CERIMES). Depuis 2005, l’Ecole Normale Supérieure propose aussi des captations vidéo de ses cours, conférences, séminaires, etc. sur sa plateformeSavoirsEnMultimedia[19].

Du MOOC, en veux-tu, en voilà

Par la suite, plusieurs cours en ligne ont tenté d’adopter une certaine structure avec du son, des vidéos, des diaporamas, des discussions, etc. Mais ce serait en 2007-2008 que les premiers MOOCs – dans l’acceptation actuelle du terme – auraient vu le jour dans les cours en ligne de David Wiley de l’université d’état de l’Utah et d’Alec Couros de l’université de Regina[20]. Le terme Massive Open Online Course est quant à lui utilisé pour la première fois en 2008 par Bryan Alexander et Dave Cormier en référence au cours « Connectivism and Connective Knowledge » (CCK08) de Stephen Downes et George Siemens[21]. Ce cours était donné en 2008 à l’université de Manitoba au Canada et suivi par 25 étudiants en présentiel et 2300 internautes. Le contenu du cours était bricolé à partir de différents outils en ligne : wiki, blog, flux RSS, forum Moodle, agrégateur Pageflakes, compte Twitter et plateformeUStream[22]. Certains MOOC ATAWADétudiants discutaient même via le monde virtuel Second Life. Un autre premier MOOC est « Introduction to Learning and Knowledge Analytics » proposé en janvier 2011 indépendamment d’une université par Georges Siemens et ses confrères. L’université de Stanford a été le berceau des xMOOCs. Ses professeurs sont notamment à l’origine des deux principaux MOOC providers :Coursera et UdacitySebastian ThrunDavid Stavens, et Mike Sokolsky lancent Udacity le 20 février 2012 et annonce aujourd’hui 400 000 inscrits.Andrew Ng et Daphne Koller, professeurs d’informatique, lancent pour leur part Coursera en avril 2012. Selon leurs communiqués de presse, la plateforme réunirait aujourd’hui plus de 3,1 millions d’inscrits provenant de 196 pays différents[23]. Enfin, une troisième plateforme, EdX, a été créée par les universités de Harvardet du MIT. Toujours selon leurs chiffres, le site accueillerait pour le moment 800 000 inscrits de 192 pays différents[24]. Cette mise en avant des chiffres est assez flagrante chez les fournisseurs de MOOCs. Ils se présenteraient comme des critères d’influence et de succès : leur reprise par la presse garantirait des externalités positives. En sciences économiques, nous parlerions d’effets de réseaux indirects. C’est-à-dire que l’utilité d’acheter ou de consommer un bien pour un consommateur dépend du volume de la demande pour un autre bien sur un autre marché. Ainsi, si cette rhétorique du chiffre est très utilisée par les fournisseurs de MOOCs concernant leurs nombres de cours, le nombre de langues proposées ou encore le nombre d’utilisateurs, c’est qu’elle permet de valoriser leurs plateformes par rapport à celles de leurs concurrents vis-à-vis, non seulement des internautes, mais aussi des universités dont ils aimeraient agréger des cours.
Voilà donc une petite histoire des MOOCs qui s’inscrivent au croisement des thématiques de »l’enseignement pour tous » et de « l’enseignement à distance ». Ma petite pierre à l’édifice. ;)


[1] HOLMBERG Börje, The evolution, principles and practices of distance education, Oldenburg, Bibliotheks-und Informationssystem der Universitat Oldenburg, 2005.
[2] CASEY Denise M., « The Historical Development of Distance Education through Technology », Techtrends, Volume 52, avril 2008, pp. 45-51.
[3] LONDON UNIVERSITY, « Timeline of our history », London University Website [disponible en ligne : http://www.londoninternational.ac.uk/our-global-reputation/our-history/timeline], consulté le 20 mai 2013.
[4] PITTMAN Von, « Correspondence Study in the American University: A Second Historiographical Perspective » in MOORE Michael, Handbook of Distance Education, New-York, Pergamon Press, 2003, pp. 21-36.
[5] CARR, Nicholas, « The Crisis in Higher Education », MIT Technology Review [disponible en ligne : http://www.technologyreview.com/featuredstory/429376/the-crisis-in-higher-education/], publié le 27 septembre 2012, consulté le 8 mai 2013.
[6] MATT, Susan; FERNANDEZ, Luke, « Before MOOCs, “Colleges of the Air” », Chronicle of Higher Education [disponible en ligne :https://chronicle.com/blogs/conversation/2013/04/23/before-moocs-colleges-of-the-air/?cid=at&utm_source=at&utm_medium=en], publié le 23 avril 2013, consulté le 20 mai 2013.
[7] NOVAK Matt, « This Radio-Book Was The Future of Education », Gizmodo [disponible en ligne : http://paleofuture.gizmodo.com/this-radio-book-was-the-future-of-education-509067457], publié le 21 mai 2013, consulté le 21 mai 2013.
[8] CASEY Denise M., « The Historical Development of Distance Education through Technology », Techtrends, Volume 52, avril 2008, pp. 45-51.
[9] OPEN UNIVERSITY, « History of the OU », Open University Website [disponible en ligne :http://www.open.ac.uk/about/main/the-ou-explained/history-the-ou], consulté le 18 mai 2013.
[10] ERTZSCHEID Olivier, « De qui se MOOCS t’on ? », Affordance [disponible en ligne :http://affordance.typepad.com//mon_weblog/2013/05/de-qui-se-moocs-ton.html], publié le 16 mai 2013, consulté le 18 mai 2013.
[11] GROUIX Pierre, « Grundtvig, figure majeure de la pédagogie européenne », Soleo, magazine de l’Agence Europe-Education-Formation France, n° 26, 2011, pp. 18-19.
[12] UNIVERSITE POPULAIRE, « De l’origine des UP en France à l’AUPF », UniversitePopulaire.eu [disponible en ligne : http://www.universitepopulaire.eu/Une-bref-historique-des.html], consulté le 18 mai 2013.
[13] O’DONNELL James, Teaching on the Infobahn, Georgetown.edu [disponible en ligne :http://www9.georgetown.edu/faculty/jod/texts/rsn.html], publié en 1994, consulté le 20 mai 2013.
[14] BOLTER Jay David et GRUSIN Richard, Remediation : Understanding New Media, Cambridge, MIT Press, 1999
[15] ERTZSCHEID Olivier, « Ressources éducatives libres : quel mode de financement ? », Affordance [disponible en ligne :http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2011/10/ressources-educatives-libres.html], publié le 24 octobre 2011, consulté le 18 mai 2013.
[16] MIT NEWS OFFICE, « MIT to make nearly all course materials available free on the World Wide Web »MIT News Office [disponible en ligne :http://web.mit.edu/newsoffice/2001/ocw.html], publié le 4 avril 2001, consulté le 8 mai 2013.
[17] MIT OPENCOURSEWARE, [disponible en ligne : http://ocw.mit.edu/index.htm], consulté le 8 mai 2013.
[18] CANAL-U, [disponible en ligne : http://www.canal-u.tv/], consulté le 8 mai 2013.
[19] SAVOIRS EN MULTIMEDIA, [disponible en ligne : http://savoirsenmultimedia.ens.fr/], consulté le 8 mai 2013.
[20] HILL Phil, « Online Educational Delivery Models: A Descriptive View », Educause Review[disponible en ligne : http://www.educause.edu/ero/article/online-educational-delivery-models-descriptive-view], publié le 1er novembre 2012, consulté le 8 mai 2013.
[21] DOWNES Stephen, « The Rise of MOOCs »Stephen Downes’ blog [disponible en ligne :http://www.downes.ca/cgi-bin/page.cgi?post=57911], publié le 23 avril 2012, consulté le 8 mai 2013.
[22] DOWNES Stephen, « MOOC and Mookies: The Connectivism & Connective Knowledge Online Course »Stephen Downes’ blog [disponible en ligne :http://www.downes.ca/presentation/197], publié le 10 septembre 2008, consulté le 18 mai 2013.
[23] YE Colby, « Koller emphasizes the importance of MOOCs », The Dartmouth [disponible en ligne : http://thedartmouth.com/2013/04/02/news/coursera], publié le 2 avril 2013, consulté le 8 mai 2013
[24] FISHER Lucy, « Laptop lectures, coming to an armchair near you », The Australian[disponible en ligne : http://www.theaustralian.com.au/higher-education/laptop-lectures-coming-to-an-armchair-near-you/story-e6frgcjx-1226625637062], publié le 23 avril 2013, consulté le 8 mai 2013.

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